J'ai jamais eu de parents... Avec Hamöre, on a toujours vécu rien que tous les deux. Ouais, on avait quatorze ans d'écart... C'normal, on n'a pas la même mère. Le vieux passait ses journées à faire de nouvelles conquêtes. Quand à celle qui m'a mis au monde... même mon frère ne sait pas ce qu'elle est devenue... La première fois qu'il m'a rencontré, j'étais déjà un gamin de quatre ans, que le paternel tenait dans ses bras. « Tiens j'te présente ton demi-frère, bon courage à vous deux ! »... Ouais, c'était un enfoiré.
Pourtant mon souvenir le plus lointain, c'est pas un de ceux-là. C'était un matin ordinaire où Hamöre m'avait préparé mon p'tit déj', où je m'étais préparé pour aller à l'école et où je suis rentré tout content de ma journée... Et mon frère qui me tend un papier qui semblait officiel même à mes yeux d'enfant... Hamöre était heureux, il allait enfin pouvoir rejoindre l'Armée après avoir fait ses preuves à l'ETA. Je ne comprenais pas bien pourquoi cela le mettait en joie à l'époque... mais j'étais ravi pour lui, tout en l'enviant un peu... car je voulais aussi ressentir ce bonheur moi aussi, moi... petit gamin blasé par la vie.
Parfois, le vieux venait tôt le matin pour dessoûler. J'ai tellement eu du mal à considérer cette loque comme mon père que je l'appelait toujours « Monsieur bourré ». Ça le faisait rire... pas Hamöre. Il passait la journée sur le canapé blanc qu'il tâchait à chaque fois. Il osait des commentaires à propos de mon éducation, comme quoi je rentrais seul de l'école, que mon frère devrait m'payer une nounou ou un robot... Un jour, il fit une remarque de trop. J'avais eu une mauvaise note, la première, la seule même... Cet alcoolo a débarqué et a commencé à nous traiter de bons à rien, de petites merdes. Hamöre l'a viré à grand coup de pompes dans le cul. C'était la dernière fois que je le voyais...
Par contre peu de temps après, on a eu la visite d'un flic. J'étais complètement en admiration face à ce gars, arme à la hanche, casque lustré sous le bras... Hamöre l'invita à entrer. :

-Laissez-moi deviner... C'est notre père c'est ça.

-Oui... Il a été arrêté sous l'emprise de l'alcool, sur le point d'abuser d'une jeune femme... Il a agressé et blessé un collègue. Il est emprisonné mais peut être libéré sous caution. Il a demandé à ce qu'on vienne vous voir.

-Désolé mais vous pourrez dire que ses bons à rien de fils n'ont pas les moyens de le prendre en charge.

Du haut de mes huit ans, je me surpris à apprécier l'ironie de la situation... Le policier sourit face à mon éclat de rire. Il repartit et la vie reprit son court.

J'étais pas un enfant compliqué. Jamais de caprices, jamais de soucis... En même temps, mon demi-frère ne se permettait pas de me traiter comme son propre fils ; j'avais beaucoup de libertés, j'étais maître de mon avenir. J'avais choisi mes activités extra-scolaires moi-même, forgeant mon corps aux arts martiaux. Pourquoi me direz-vous ?... Parce que j'étais immense pour mon âge, mais j'étais tout fin... Dans la cour on m’appelait « la Ficelle ». Alors certes je n'ai jamais eu d'ennuis avec mes camarades, ma taille les impressionnant de base, mais bon... Je m'assumais pas.
Les journées se suivaient et se ressemblaient. Parfois Hamöre rentrait tard de la base, je ne le voyais que le lendemain au soir.
Une vie monotone et simple... que je lui devais entièrement.

Je suis rentré un soir tard de l'entraînement. Quand j'ai allumé la lumière du salon, Hamöre était déjà assis à table. Passé le moment de surprise -c'est vrai quoi, qu'est-ce qu'il foutait dans le noir ce con ?-, je me suis mis à le fixer, déboussolé... Il avait sa tenue de combat complète, juste le casque trônait sur la table, ainsi que ses armes. Silencieux, je le rejoignis. :

-... Dire que quand j'étais petit, tu chiais une pendule parce que je voulais absolument te voir comme ça. Comme quoi un enfant n'avait pas à être obnubilé par les armes et armures...

Un autre silence durant lequel il posa ses yeux tristes sur moi. :

-Kuo... Demain matin, j'irai au front avec mon Infanterie.

Il disait ça comme s'il allait crever... Mes poings se serrèrent sous l'angoisse. :

-Il ont besoin d'aide sur le champs de bataille... Beaucoup sont déjà morts et...

-Tais-toi.

Je me suis levé à ce moment... J'm'en souviens bien parce que j'avais eu l'impression que le monde tournait au ralenti autour de moi. Et quand j'ai posé ma main sur l'épaule de mon frère, tout redevint plus clair. :

-Fais juste ton boulot Ham, en sachant que je suis le petit frère le plus fier de la planète.

Hamöre a été porté disparu quelques jours plus tard... Sur le champs de bataille, on a retrouvé son IPH seulement. Depuis ce jour je le garde précieusement.