« J'espère que t'essayes pas encore de me refiler de la merde, gamin. »
« Non m'sieur ! Je l'ai étudiée et analysée, j'ai pas trouvé de défaut pour ce genre de service ! »
« C'genre de service ? C'est pas une putain que j'demande, gamin. C'est un agent des forces de l'ordre. De l'aide, pour remplacer c'foutu coéquipier qui m'a clamsé dans les mains. »
« Elle est conçue pour obéir au doigt et à l’œil à celui qui sera son Maître. J'ai trouvé comment faire pour qu'elle sache que ce Maître c'est vous. Promis m'sieur ! J'vous arnaque pas, j'veux juste un peu de nanks. L'ETA c'est pas donné à tout le monde... »
« Ouais ouais, je sais. De toute façon je te retrouverai si j'ai le moindre soucis avec celle-là. Et pourquoi elle est à poil d'abord ? »
« Euh... c'est un robot... »
« Et ta soeur, gamin ? C'est pas un robot mais la moitié de la ville l'a vue à poil. T'as vu les détails de son corps ? Si on enlève les yeux, on dirait plus une nana peinturlurée qu'un robot. Espèce de p'tit vicieux ! »
« De toute façon vous en faites ce que vous voulez à partir du moment où vous me payez. »

S'en suivit un échange d'argent par transfert informatique. Mon corps restait là pendant que mon système analysait les moindre informations de cette conversation. Le jeune garçon vint à ma portée et disparut dans mon dos. Il se mit à toucher à mon système interne avant de dire à l'homme face à moi que « c'était bon ». 

« Je suis Eryon. »

La réponse vint à moi comme une évidence.

« Bonjour, Maître Eryon. »

L'homme sourit. Cela était sûrement de la joie, je n'en savais rien. Je ne suis pas programmée pour comprendre les signes du langage du corps humain. Il congédia le jeune homme en le couvrant de louanges. Nous nous retrouvâmes seuls. 

« Est-ce que tu as un nom ? »
« Luan. Origine du nom inconnue. »
« Et est-ce que tu sais d'où tu viens ? »
« Information erronée. Je me suis éveillée devant le Maître Eryon. »

Les traits faciaux de ce dernier s'affaissèrent. Il baissa les yeux au sol. Je continuais de le fixer sans bouger.

« Le garçon qui vient de partir t'a trouvée à la décharge. On n'sait pas pourquoi, mais visiblement tes anciens propriétaires ne voulaient plus de toi. Désolé d'y aller si brusquement, mais je préfère que les choses soient posées. »
« Que Maître Eryon ne se gêne pas. Je ne suis pas programmée pour ressentir du regret ou du remord. »
« Ok, ok... Tu... Euh... Tu veux manger un tr... »
« Je ne me nourris pas. »
« Ah bah ouais, j'suis con. Viens, on va te trouver des fringues. »
« Des fringues, monsieur ? Qu'est-ce que cela ? »
« Bah des vêtements... »
« Ma condition de robot et l'absence de notion de pudeur me permettent de ne pas exiger le port de vêtements, Maître Eryon. »
« Mais ma condition d'homme et la présence de respect dans mon ciboulot vont te forcer à en porter. »
« Comme vous le désirez. »
« Et... t'as besoin... j'sais pas. T'as besoin d'autre chose ? »
« Mon manque d'information concernant mon Maître m'empêchent d'effectuer toutes les analyses et les statistiques nécessaires à mon système. »
« Tu pouvais juste m'demander de parler de moi. »
« Je ne suis pas autorisée à exiger quelque chose de mon Maître, Maître. »
« Eh bah... ça va pas être facile facile... »

Il élargit ses lèvres en un sourire qui déchanta bien vite face à mon visage. Il soupira et se mit à rire. Je ne comprenais pas. Je ne suis pas programmée pour comprendre les émotions. Et plus je regardais Maître Eryon, plus mon système l'associait à un autre visage. Un visage. Pourtant je n'avais pas d'existence avant Maître Eryon. Mais il y avait un visage, sans nom, dans un coin reculé de mon système. 

- Retrait ! Lulu, viens te planquer ! -
« Des vies innocentes sont en danger, Maître Eryon. »
- Viens te planquer ici tout de suite ! Retrait ! C'est un ordre ! Bordel !  -
« A vos ordres, Maître. »

J'abandonnai la vitrine du magasin pris en otage, tournant le dos aux prisonniers qui attendaient de l'aide. Maître Eryon et moi avions été mobilisés pour ce conflit. Après une tentative infructueuse de négociation, nous fûmes sujets à des tirs de revolvers. Maître Eryon partit en quête d'une cachette alors qu'un groupe complice de bandits arrivaient prêter main forte aux principaux délinquants. 

J'arrivai dans la petite ruelle où mon Maître était réfugié. 

« Combien ils sont, les gugusses ? »
« Quatre sont à notre recherche dans les alentours. Deux restent avec les otages dans le magasin, Maître. »
« T'as une idée de ce qu'on peut faire ? »
« Selon mes pronostics, les brigands ne se rendront pas. L'exécution semble être la seule solution pour sauver la vie du plus grand nombre d'otages. »
« T'es vraiment flippante à dire ça sur une voix aussi dénuée d'émotion. »
« Je ne suis pas programmée pour ressent... »
« … des émotions. Oui, oui, je sais. Mais d'après toi, on a combien de chances de faire tuer un otage en essayant d'attaquer les types ? »
« Cette probabilité est de 62% Maître. »
« Et les renforts ? »
« Indisponible pendant vingt minutes encore. »
« Merde. Qu'est-ce qu'on fait alors ? On va pas prendre le risque de faire tuer les otages ? »
« Les dommages collatéraux sont parfois nécessaires pour la réussite d'une mission. »
« Mais tout à l'heure tu voulais pas venir parce que des innocents étaient en danger ! »

Il s'énervait derrière la poubelle où nous nous réfugions. Ses muscles faciaux se crispaient et il vociférait mais tout en continuant de chuchoter. Et je savais ce qu'il allait bientôt me reprocher.

« Vous m'aviez demandée de surveiller les innocents. Mais vous réagissez désormais sous l'émotion et je me dois de vou apporter un vision logique de la situation. Maître, tous les otages ne pourront être sauvés si nous voulons maîtriser la totalité des brigands. »
« Tu parles de tuer des gens. Et ta voix et ton visage restent de marbre... »

Voilà qui était fait. Chaque fois que ma logique se heurtait à ses sentiments humains, il jugeait ma physionomie de robot en cherchant à me vexer. Je ne connais pas la sensibilité. Aussi restai-je à le regarder de ce visage qui le dégoûtait. J'avais en effet effectué des recherches sur cette expression faciale et ce timbre de voix. Mes conclusions associaient ceci au sentiment de dégoût. À la fin de la mission, il s'excusera et me montrera qu'il tient beaucoup à moi. Je ne peux pas lui rendre ses nombreux compliments et ne peux exprimer aucune gratitude. 

« Bon... On fonce dans le tas. Je m'occupe de ceux qui sont dans le magasin. »
« Selon les statistiques, je suis plus à même de protéger les otages en attaqu... »
« Va te faire foutre avec tes statistiques. Tu t'occupes de ceux qui sont en train de nous chercher. Et pas de pitié. »
« Je ne suis pas programmée pour la pitié, Maître Eryon. »
« C'est bien la seule chose que j'aime t'entendre dire. Allez on y va ! »